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Immigration économique : La régularisation des travailleurs dans les métiers en tension ne suffira pas

La question de l’immigration revient au-devant de la scène en France. Les débats entre différents courants politiques sont souvent houleux pour des raisons idéologiques, mais sans que la question des besoins pragmatiques de la France ne soit réellement soulevée. Dans ce débat, les voix qui se basent sur des analyses des chiffres et de l’apport de l’immigration à la France sont inaudibles devant les discours populistes et électoralistes.

C’est dans ce contexte que Jean-Christophe Dumont, économiste et titulaire d’un doctorat de l’Université Paris-Dauphine, qui dirige la Division des migrations internationales au sein de l’OCDE depuis 2010, s’est incrusté dans le débat pour rappeler la réalité des chiffres. Dans son intervention sur le journal l’Opinion1, l’économiste est revenu sur certaines mesures qui font polémique en France, telles que la création d’un titre de séjour pour les métiers en tension.

« Ce que prévoit ce nouveau titre de séjour, c’est de permettre à des gens qui sont déjà sur le territoire français d’accéder à ce permis de travail. C’est là la nouveauté. Il n’y a plus besoin de faire la demande de l’étranger. Si on est sur le territoire, y compris si on est en situation irrégulière, on pourra obtenir ce titre directement », explique-t-il.

La France a besoin de l’immigration

Il indique que cette mesure « répondra sans doute à une partie des besoins. Mais comme ce sont des gens qui sont souvent déjà employés dans les secteurs, cela ne répondra pas à la totalité des besoins de recrutement de ces secteurs. Il est nécessaire, en plus de cette politique de régularisation très ciblée, de mettre en place d’autres mesures de façon à accroître l’attractivité des emplois dans ces secteurs, notamment en revalorisant les conditions de travail, voire les conditions salariales. Cette régularisation ne pourrait avoir d’impact sur les besoins de ces secteurs que si elle est prise dans un ensemble de politiques publiques plus large ».

Le directeur de la Division des migrations internationales au sein de l’OCDE rappelle que « L’immigration, de toute façon, joue un rôle important dans la croissance de la force de travail puisque ça contribue presque à un petit peu moins de deux tiers de l’augmentation de la force de travail en France. Et de manière plus prépondérante encore, dans les professions qui sont en croissance. On pense à la fois à des professions hautement qualifiées, bien entendu, le secteur informatique et nouvelles technologies, environ 17 % de l’emploi immigré dans ce secteur. Mais on pense aussi à des secteurs moins qualifiés, en forte croissance, comme le secteur de la sécurité où les immigrés représentent plus d’un quart de l’emploi total. Et puis les immigrés sont aussi représentés dans des secteurs qui sont en déclin, dont l’emploi baisse d’année en année. Près d’un tiers des recrutements dans ces secteurs sont le fait d’immigrés dans l’ensemble de l’Union européenne, c’est aussi le cas en France. Et dans ces secteurs, on retrouve les secteurs de l’artisanat, peut-être de la métallurgie, des secteurs manufacturiers, dont l’emploi baisse, mais finalement pour lesquels il est de plus en plus difficile de trouver des travailleurs locaux. Parce qu’évidemment, ces travailleurs s’aperçoivent qu’il y a peu, disons d’avenir, dans ces métiers et ils se dirigent vers d’autres métiers ». Ce sont là des vérités que cet économiste assène au courant anti-immigration.

Les Algériens, Marocains et Tunisiens présents en force

Les immigrés qui sont en France pour des raisons économiques sont majoritairement issus des pays de l’Afrique du Nord ; l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, en l’occurrence. « En ce qui concerne les titres pour motif économique, on retrouve à peu près ce triptyque, à l’exception du fait que, pour les Algériens, comme il y a des conditions particulières qui sont liées à l’accord franco-algérien sur l’immigration, ils sont beaucoup moins présents dans les titres économiques, ils utilisent d’autres titres de séjour. Et donc on retrouve en premier lieu les Marocains pour 17  % environ, les Tunisiens, et en troisième position, les Américains qui ont principalement des titres relativement qualifiés », affirme Jean-Christophe Dumont.

Cet économiste rappelle également que « la part de l’immigration de travail a beaucoup augmenté. 14 % des titres de séjour ont été délivrés pour motif économique en 2022 (hors étudiants) contre 11 % en 2012. Dont une partie à des personnes hautement qualifiées, notamment au travers du Passeport Talent qui au total correspond à presque 19’000 titres en 2022. Mais aussi à des migrants moins qualifiés, notamment des saisonniers. Les travailleurs saisonniers sont la catégorie qui a le plus augmenté, multipliée par dix en dix ans, pour atteindre 10’000 personnes en 2022. Et puis ce qu’on appelle les autorisations exceptionnelles au séjour pour motif économique, c’est en réalité des régularisations parce qu’il est d’ores et déjà possible d’être régularisé si on a une offre d’emploi. Ça représente environ 11’000 titres en 2022 ».

Il faut dire que ces chiffres révèlent qu’au-delà de tous les discours sur ce dossier, même si les immigrés choisissent la France pour évoluer et construire une nouvelle vie, la France a également besoin de cette main-d’œuvre qui lui manque cruellement.


  1. Immigration économique: au-delà des fantasmes, la réalité des chiffres, 18 septembre 2023, l’Opinion ↩

Source : Maghrebe

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